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UNE PLONGEE MEMORABLE




C'est à cette époque que l'ANTIOPE va être traquée par des navires allemands dans le golfe de Gênes, 48 heures durant, harcelée, pilonnée.

Pour mieux comprendre ce que fut l'angoisse de ces 42 hommes pendant tout ce temps entre la vie et la mort, voici ce qu'écrit M. Pierre Badie, ancien quartier-maître mécanicien

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« II est vraisemblable que la forte houle qui sévissait en surface nous sauva la mise et entrava la chasse des vedettes rapides car peu à peu le bruit des hélices décrut et les explosions plus lointaines nous laissèrent supposer qu'ils s'acharnaient sur un fond rocheux, ce qui nous sauva la vie. Tout n'était pourtant pas terminé et si notre brave ANTIOPE n'était pas touché à mort, il naviguait comme un oiseau touché à l'aile, ne pouvant plus se diriger... Plus d'oxygène et le C0.2 qui se répand à bord... Notre petite chienne mascotte «Marquise» hurle à la mort, on la monte dans le kiosque avec le commandant. Dans l'impossibilité de mettre un appareil en marche, la surpression nous rend l'existence intolérable, la respiration devient de plus en plus pénible, nous ouvrons tous la bouche comme des poissons hors de l'eau en quête d'un peu d'air. Le silence est toujours de rigueur, et pour garder l'assiette horizontale du sous-marin, nous faisons circuler des hommes de l'avant à l'arrière et vice versa à la demande, les pompes ne démarrant plus.


«Les latrines sont à bloc et débordent ; elles sont consignées. L'air devient de plus en plus vicié, les appareils régénérateurs ne fonctionnent toujours pas, les bouteilles d'oxygène sont vides.


«Nous sommes au bord de l'évanouissement : c'est alors que le second, capitaine Lavallée, nous fait disposer dans les coursives et les housses des matelots, du granulé blanc, produit chimique que l'on introduit dans les appareils régénérateurs et qui a pour but de résorber le gaz carbonique.

«C'est formidable et l'amélioration se fait sentir immédiatement. Nous hissons le périscope de combat qui reste utilisable avec la pompe à main, un coup de pompe = 1 cm et comme il mesure 13 mètres, vous m'avez compris, nous nous relayons doucement car la force nous a abandonnés ; avec de la patience on y arrive quand même.


« 24 heures plus tard, notre radio n'intercepte aucun bruit dans les parages. Le commandant décide de tenter la dernière chance. Tant bien que mal, nous essayerons de faire surface et de mettre au combat le canon de 75 puisque nous ne pouvons pas, dans l'état actuel, torpiller ces maudites vedettes.


« Etant servant d'éléments, je prends les consignes avec le canonnier, hausse et dérive, et à minuit pile, n'en pouvant plus : surface ! Les nerfs tendus, notre équipe saute sur le pont pour gagner la pièce, de l'eau jusqu'à la ceinture, tout est paré pour faire feu ; quel soulagement ! la mer est comme de l'huile, la nuit claire, sans une ombre à l'horizon... Nous respirons à pleins poumons et c'est là que nous tombons les uns après les autres dans les pommes, ivres d'air pur, foudroyés par l'afflux d'oxygène.

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« La ventilation ayant été remise en service, nos camarades subissent le même malaise à bord... Après bien des efforts, l'un des moteurs diésel se met en marche, puis ensuite le deuxième se met à tourner, nous redonnant l'espoir et la propulsion lente commence en direction d'Alger. 48 heures de plongée et de cauchemar viennent de s'écouler ; nous l'avons échappé belle encore une fois ; parfois j'en rêve encore et j'en transpire, mais s'il fallait recommencer, je serais volontaire, avec 30 ans de moins bien sûr...

« Après chaque mission, nous avions 15 jours de repos à la montagne et nous faisions souvent le « méchoui » ; aucune différence de grade, et le capitaine Lavallée était un bout-en-train de première. Vous pouvez dire à sa mère que tous ceux qui l'ont connu gardent de lui un souvenir impérissable et en parlent avec admiration».


Mais bientôt, le caractère actif que Jean Lavallée manifeste en toutes circonstances va le pousser à continuer le combat dans la clandestinité, au coeur même de la France occupée. Le colonel Paul Paillole, qui fut son chef de réseau, nous livre ce témoignage

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